25 juin 2006

C'est dans l'air ...


En entreprise, l'emploi de l'e-mail à des fins privées est délicat. L'outil informatique y est en effet considéré comme un outil de travail. Et certains employeurs revendiquent à ce titre un droit de regard, voire un contrôle des courriels reçus ou émis sur le lieu de travail. Est-ce légal ?La réponse est non. A moins que l'employeur ait formellement interdit toute émission et réception d'e-mails, la jurisprudence estime que le salarié peut utiliser ce mode de communication à usage personnel ou à des fins syndicales. Qu'il y ait ou non une charte informatique dans l'entreprise (qui indique précisément aux salariés ce qu'ils ont droit de faire et ce qui leur est interdit), elle estime que le secret des correspondances est primordial.
Le 2 novembre 2000, le tribunal de grande instance de Paris a condamné des cadres d'une école d'ingénieur qui avaient consulté la messagerie d'un étudiant à son insu. Le jugement a été confirmé par l’arrêt du 17 décembre 2001 de la Cour d’appel de Paris.Le 2 octobre 2001, un arrêt de la cour de cassation a reconnu que "le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur". (arrêt "Nikon")Par un arrêt du 22 septembre 2003, le Conseil de Prud’hommes d’Evry a sanctionné une société pour espionnage syndical. Etait en cause l’ouverture de courriers électroniques que des délégués syndicaux s’adressaient.
A noter que, dans une décision de juillet 2003, la cour d'appel de Bordeaux a reconnu aux e-mails leur caractère personnel, même s'ils étaient émis depuis l'adresse générique de l'entreprise (et non une adresse individuelle).Précisons que la jurisprudence n'interdit que le contrôle des contenus. La surveillance peut porter légalement sur les caractéristiques techniques des courriers électroniques. Dans un rapport datant de mars 2001, la Commission nationale de l'informatique et des libertés résume parfaitement la situation.
"L'interdiction de principe faite aux salariés d'utiliser la messagerie électronique à des fins non professionnelles paraît tout à la fois irréaliste et disproportionnée.La sécurité de certaines entreprises particulières peut sans doute justifier que soit opéré un contrôle a posteriori de l'usage des messageries. Mais un tel contrôle doit pouvoir être effectué à partir d'indications générales de fréquence, de volume, de la taille des messages, du format des pièces jointes, sans qu'il y ait lieu d'exercer un contrôle sur le contenu des messages échangés.En tout état de cause, s'agissant des messages "entrants" (adressés par une personne extérieure à l'entreprise à un salarié sur son lieu de travail), toute indication portée dans l'objet du message et conférant indubitablement à ce dernier un caractère privé devrait interdire à l'employeur d'en prendre connaissance, selon les principes posés par la jurisprudence sur la correspondance postale."CNIL - Rapport sur la cybersurveillance des salariés dans l'entreprise, mis à jour en mars 2004.
L'utilisation d'une adresse professionnelle à des fins personnelles connaît cependant des limites. Sont notamment à proscrire les messages graveleux ou contraires à la loi qui, rendus publics, peuvent porter atteinte à l'image de marque de l'entreprise.
En avril 2003, un arrêt de la cour d'appel de Paris a condamné un salarié pour atteinte portée à l'image de marque et à la réputation de son entreprise : il avait associé le nom de cette dernière à des activités à caractère pornographique ou échangiste par l'utilisation de son adresse électronique. Le 2 juin 2004, un arrêt de la cour de cassation a condidéré que le fait d'utiliser la messagerie électronique de son entreprise pour émettre, dans des conditions permettant d'identifier l'employeur, un courriel contenant des propos contraires à la loi (antisémites en l'occurrence) est constitutif d'une faute grave.
Que faut-il retenir de tout ça ? Que vous pouvez utiliser votre e-mail professionnel à des fins personnelles, mais qu'il vaut mieux le faire avec tact et mesure !