20 février 2006

La justice à l'italienne (suite)...

Toujours en Italie, mais les faits se sont passés en 1999... comme quoi en 7 ans, rien n'a changé et ça fait peur...

La décision de cinq juges de la Cour de cassation selon lesquels une femme en jeans ne saurait être violée sans une collaboration active de sa part provoque un tollé dans la péninsule.

Auparavant, quelques juges rétrogrades, machistes et misogynes auraient pu donner l’absolution à un homme coupable d’avoir commis un viol en affirmant que tout compte fait, la faute en était à la victime qui portait une minijupe. Aujourd’hui, les juges italiens de la Cour de cassation font mieux : la jeune femme ayant accusé un moniteur d’auto-école de l’avoir violée a menti ; elle a menti car le jour où ce crime fut commis, elle portait une paire de... blue-jeans. Selon les membres de cette cour qui a renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel, il est impossible de violer une femme si celle-ci porte ce qui pour les juges ressemble plus à une ceinture de chasteté qu’à un simple pantalon en coton, étant par "définition étroit donc près du corps". En somme, un homme ne pourrait déshabiller une femme, en l’occurrence lui ôter son blue-jeans sans que celle-ci ne lui donne un petit coup de main. Voilà les Italiennes averties. Inutile désormais de se plaindre, se torturer l’esprit, mourir à petit feu pour avoir croisé le chemin d’un violeur : elles n’avaient qu’à ne pas porter de jeans.

Les faits : le 12 juillet 1992, R.P. âgée de dix-huit ans, rencontre son moniteur sur le coup de midi pour prendre une leçon de conduite. La scène se passe à Potenza, une ville située dans le "Sud profond". Sous prétexte de devoir prendre une autre élève, le moniteur conduit sa victime sur une petite route de campagne déserte. "Il m’obligea à descendre de la voiture, racontera la jeune fille lors du procès, me jeta par terre en m’ôtant mes jeans à moitié. J’avais très peur. A la fin, il m’obligea à remonter en voiture et à rentrer à l’auto-école. Il me dit aussi que si je racontais ce qu’il s’était passé, il m’aurait passée à tabac". Terrorisée, la jeune fille attendra vingt-quatre heures avant de raconter la vérité à ses parents. Ces derniers portent plainte, réclament justice pour leur fille. Dans un premier temps, les juges ont du mal à croire la plaignante ; celle-ci balbutie lors des audiences, a du mal à parler. Le moniteur - un homme âgé de quarante-cinq ans, père de deux enfants -, quant à lui, affirme que "sa victime" l’a provoqué et qu’elle l’a même invité à déjeuner après "les faits qui lui sont reprochés". Le moniteur sera simplement condamné pour actes obscènes sur la voie publique.

Deuxième acte : la famille fait appel. Cette fois ci, les juges condamnent l’homme à deux ans et deux mois de prison. Les juges de la cour d’appel de Potenza estiment que si "les faits s’étaient déroulés dans la voiture comme l’affirme l’accusé, les enquêteurs auraient dû trouver des traces de sang sur les fauteuils ou du moins par terre, la jeune fille étant vierge à l’époque du drame et la rupture de l’hymen entraînant des pertes de sang". Le moniteur se pourvoie en cassation, on connaît la suite.

La décision des cinq juges de la Cour de cassation a fait déjà fait couler beaucoup d’encre. Au féminin comme au masculin, à gauche et à droite, l’Italie tout entière monte au créneau en réclamant des comptes aux cinq "petits" juges. Jeudi matin, les femmes de la droite parlementaire sont arrivées en blue-jeans en signe de protestation, transformant ainsi l’hémicycle en une véritable cité des femmes. Une occasion en or pour redorer le blason d’une droite guère à l’avant-garde en matière de féminisme. N’est-ce pas l’opposition qui a réussi la semaine dernière à faire approuver par le parlement italien une loi interdisant la fécondation assistée aux couples non mariés ?

De leur côté, leurs collègues du centre-gauche ont organisé, appuyées par le président de l’Assemblée, Luciano Violente, un débat parlementaire centré sur les conséquences et implications de la décision de la cour. L’affaire a pris une tournure politique avec non seulement l’intervention du président du Conseil Massimo D’Alema qui s’est déclaré "solidaire des femmes sujettes à des actes de violence" mais aussi celle de nombreuses intellectuelles dont Rita Levi Montalcini, prix Nobel, Franca Rame, compagne du prix Nobel Dario Fo, elle fut violée il y a quinze ans par des fascistes, et Giovanna Melandri, ministre de la Culture qui ont dénoncé "un verdict blessant la dignité des femmes et rendant vain de nombreuses années de batailles pour la défense de la condition féminine". Quant aux cinq juges, mesurant l’ampleur du tollé, ils ont évoqué hier un "malentendu général" assurant que la reconstitution de l’agression "présentait des lacunes évidentes".