27 janvier 2006

je vous en avais touché deux mots...


La Servante écarlate (The Handmaid's Tale, 1985) de Margaret Atwood est l'un des plus grands et des plus terrifiants des romans «distopiques », à ranger au côté de chefs-d'œuvre comme Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, 1984 de George Orwell ou Globalia de Jean-Christophe Ruffin. Ces œuvres parlent de mondes situés dans un avenir assez proche et dont les scénarios politiques sont totalement repoussants. Contrairement aux romans d'anticipation, ces romans se concentrent sur l'évolution politique et sociale et sur la fragilité de nos notions de liberté individuelle plutôt que sur les progrès technologiques. La Servante écarlate est une condamnation particulièrement virulente de la droite chrétienne américaine et une mise en garde contre les réactions éventuelles visant à renverser le féminisme et le laïcisme. Il donne froid dans le dos de voir qu'un roman écrit il y a presque vingt ans avait déjà laissé entrevoir l'imposition de la tyrannie par des lois d'urgence promulguées en réponse à des actes de terrorisme.
Néanmoins, La Servante écarlate est plus qu'une parabole politique. C'est aussi un roman d'un romantisme noir qui parle du désir sexuel dans un univers lugubre, de l'amitié et de la résistance.
L'héroïne, dont nous n'apprenons jamais le nom véritable, a tout perdu -- sa fille, son mari, sa liberté. En quelques mois, son univers a entièrement basculé et elle est devenue un outil de procréation pour les fils de Jacob, les dirigeants de la république chrétienne fasciste de Gilead, laquelle a remplacé l'État laïque des États-Unis. Le lecteur voit du point de vue de l'héroïne les leaders du nouveau régime, les collaborateurs et la résistance, insaisissable mais irréductible. Elle continue d'espérer, de désirer et de penser et, au fil du récit, ses rêves se transforment en défi, en résistance et en salut lorsqu'elle s'évade.
Il faut souligner que, dans ce roman, le temps qui sépare la république de Gilead de notre époque est fort court. À peine quelques années plus tôt, l'héroïne menait la vie normale de la classe moyenne. Le passé est constamment présent dans ses pensées, alors qu'elle navigue entre la dure réalité de Gilead et le refuge de sa vie antérieure avec une facilité qui ne se comprend que par leur proximité dans le temps. Il est difficile pour le lecteur de ne pas être envahi par la crainte qu'une telle catastrophe politique ne se produise de façon si soudaine et si radicale. Un détail est particulièrement terrifiant : l'imposition de la nouvelle répression des femmes se produit du jour au lendemain, alors que leurs cartes de crédit sont invalidées. La centralisation des données grâce à la technologie informatique fait en sorte que ce type d'intervention de l'État est entièrement plausible et, en fait, les craintes de la perte de toute vie privée en raison du contrôle des cartes de crédit sont devenues courantes au cours des dernières années. Ici encore, Margaret Atwood a fait preuve de grande clairvoyance en imaginant de tels événements dès 1985.
[Traduction : Alain Cavenne]
Ce roman a été édité en français par les éditions Robert Laffont en 1987. Il a fait l'objet d'une adaptation cinématographie par Volker Schondorff, et plus récemment, est devenu un opéra de Paul Ruders (livret de Paul Bentley).
(Pour info, en littérature, la distopie est une utopie qui a mal tourné.)
A LIRE ABSOLUMENT, je vous l'avais déjà dit mais j'insiste...
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